Les années bonheur
- Hamid Bey
- 20 janv.
- 3 min de lecture
J’y étais, j’y ai vécu. Je n’y ai évidemment pas eu le rôle principal, juste celui de figurant. Comme la plupart des jeunes de ma génération, j’ai fait le hippie, J’avais les cheveux longs, J’ai porté des chemises à fleurs, des pantalons taille basse et pattes d’éléphants et des T-shirts à l’effigie de Luther King, de Che Guevara , des Rolling Stones, de Malcolm X, de Janis Joplin… Des jeans délavés aussi et des boots Les filles étaient en mini-jupes ou en pantalons et se coiffaient à la Bardot, à la Sylvie Vartan, à la Sheila ou à la Mireille Mathieu.
Je n’avais pas d’argent ni de Harley Davidson pour voyager le long de la mythique 66 Road et je n’ai pas eu le plaisir d’aller à l’île de Wight ni à Bethel pour le magnifique festival de Woodstock que je n’ai connus que sur les ondes de la Chaine3, de RTL et d’Europe1 à travers la musique rock, folk et soul et les chansons de Michel Delpech, de
Bob Dylan, de John Baez de Jimmy Hendrix ou dans Salut les Copains, Âge Tendre et Paris Match.
A quinze ou seize ans , je découvrais par la belle voix de Jean Ferrat la sublime poésie de Louis Aragon et me plaisais à fredonner «Les feuilles mortes » de Jaques Prévert en essayant d’imiter Yves Montand. Mes amis et moi rêvions d’Amérique en écoutant sur le juke-box d’un café ou à la radio « Moonlight Sérénade » de Glenn Miller, « Take five » de Dave Brubeck ; Nat King cole chantant « Love » et tant d’autres tubes de l’époque, sur lesquels, on danser le rock, on jerker et on twister
Dans la grande cour du campus de l’Université d’Oran, sous les palmiers, on allumait, certains soirs, un feu de bois et on chantait, en grattant de la guitare, des airs de l’époque. Des étudiants étrangers, de passage, se joignaient à nous. On leur offrait le gîte et le couvert. Certains venaient des pays d’Afrique, d’autres d’Europe, d’Asie ou d’Amérique. On avait tous pour mêmes devises: « Peace and love » et « Make love not war ».
A cette époque bénie, l’Algérie était le havre des hommes épris de liberté. Les mouvements pacifistes manifestaient contre la guerre au Vietnam, la guerre froide régissait les rapports Est-Ouest et Berlin était divisée. Le rêve américain ne s’était pas encore mû en cauchemar et Louis Armstrong chantait « What a wonderful world » et « When the saints go marching in » pendant que Paris célébrait Piaf, Ferrat, Brel, Brassens, Montand , Dalida, Moustaki et bien d’autres artistes .
Pour quelques sous, le cinéma nous offrait un moment de rêve dans le charme de Greta Garbo et les yeux de Michèle Morgan dont s’émerveillait Jean Gabin. On pouvait déguster des cacahuètes ou des graines de courges grillées en se laissant bercer par les amours de la ravissante Dalila Di Lazzaro au bras du beau Delon ou entrainer par les aventures de Key Largo avec le talentueux Humphrey Bogart et la sublime Lauren Bacall. James Bond nous entraînait dans ses aventures pendant que Darry Cowl, Louis de Funès et Jerry Lewis nous faisaient marrer.
Il n’y avait pas que la brute et le truand, il y avait aussi le bon. La musique Raï était à ses balbutiements et on se plaisait à écouter et à fredonner, El Anka, Fergani, Ahmed Wahbi, Samy el Djazairi, Dahmène el Harachi Les Frères Mégri, les Turkish Blend et tant d’autres belles voix de l’époque.
On n’avait pas besoin de visas pour aller en Europe , on y allait en avion ou par bateau, pas en harragas et on y était bien accueillis. Les portes de leurs écoles et universités nous étaient grandes ouvertes et le système éducatif algérien n’avait rien à envier aux
leurs.
La différence entre riches et pauvres, on ne la ressentait pas car on pouvait tous, selon ses moyens, se permettre une vie agréable. Durant les années bonheur, rien n’était plus important que la vie et c’était magnifique.
Que s’est-il passé depuis ?
Hamid Bey
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